LA « MAGIE » DE L’HIVER
08:37 am, Richard Martineau /
Il y a deux genres de personnes : celles qui vivent avec l’hiver, et celles qui vivent contre l’hiver.
J’appartiens à la deuxième catégorie.
Ça fait 49 ans que je vis au Québec et ça fait 49 ans que je déteste l’hiver.
J’haïs cette saison de toutes mes forces.
Chaque fois que quelqu’un me dit qu’il aime l’hiver, j’ai envie de le prendre par la tuque et de lui enfoncer un popsicle dans la gorge.
LA NÉGATION DE L’HIVER
À regarder les gens aller, je soupçonne que je ne suis pas tout seul dans ma gang.
Regardez ce qui s’est passé hier : autos sans pneus d’hiver, véhicules qui prennent le champ, embouteillages, carambolages… Sans oublier « les Pol Pot du vélo » (dixit Paul Arcand) qui s’entêtent à pédaler malgré les bancs de neige.
On dirait que c’était la première fois qu’on voyait de la neige tomber.
Le Québec a beau être une région nordique qui se pèle le cul six mois par année, les Québécois vivent dans la négation de l’hiver.
On fait comme si cette saison n’existait pas.
Comme si elle était une anomalie, une aberration.
Un accident malheureux qui nous est tombé dessus cette année mais qui ne reviendra pas l’an prochain.
COMME UNE CROTTE
Ça me rappelle ma jeunesse.
Au beau milieu de février, je portais encore un p’tit manteau de printemps. Pas de tuque, pas de gant, pas de foulard, rien. Je refusais de reconnaître l’existence de l’hiver.
Résultat : je gelais comme une crotte. Et je passais l’hiver à sacrer.
Aujourd’hui, j’ai appris.
Je porte une tuque laide qui écrase mes cheveux, un Kanuk sans forme qui me fait passer pour le bonhomme Michelin, des bottes d’astronaute, des foulards bariolés que je passe mon temps à perdre ou à oublier.
Je sacre toujours autant, mais au moins, je ne grelotte pas.
LA « MAGIE » DE L’HIVER
Il y a des villes qui sont faites pour l’hiver.
Québec, par exemple. Quand il neige, le royaume du maire Labeaume ressemble à une p’tite boule en verre « made in China » qu’on agite pour voir tomber des flocons. C’est féérique, ça me donne presqu’envie de me coucher sur la terrasse Dufferin et de faire l’ange.
Mais à Montréal, c’est l’enfer.
Déjà que la ville n’est pas belle l’été. Mais l’hiver, c’est pire que tout. Montréal ressemble à un coup de poing dans un pâté à la viande.
Que des immigrants aient décidé volontairement de quitter leurs palmiers pour venir s’installer ici me sidère.
FELIZ NAVIDAD
En Russie, en Suède, en Norvège, en Alaska, les gens embrassent leur nordicité. Ici, on la combat.
« Mon pays, c’est l’hiver », chantait Vigneault. Bullshit : notre pays, c’est trois semaines dans un tout-inclus à Cayo Coco. Le mois de juin n’est pas encore commencé que déjà, on appelle notre agent de voyage pour s’assurer qu’on chantera Jingle Bells en espagnol.
Un ami immigrant m’a déjà dit qu’il ne comprenait pas pourquoi le Québec s’est dit Non deux fois de suite.
Comment voulez-vous que les Québécois se donnent un pays quand ils ne réussissent même pas à accepter leur situation géographique ?
Être québécois, c’est peut-être ça.
Se nier politiquement, culturellement et géographiquement.